Pays du mont Blanc - N°91 - Février/Mars 2010

Mon Sherpa au Canada

A fond ! Dachhiri Dawa Sherpa, coureur mondialement connu et vainqueur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, en 2003, sera le seul athlète à porter les couleurs du Népal lors des JO de Vancouver. Rencontre.

mb91-6.jpg6h. Petit matin glacial sur les hauts plateaux du Vercors. Dans l’aube à peine naissante, Dawa attaque la journée sur les chapeaux de roue, en avalant  quelques kilomètres de skating. A peine les skis sont-ils rangés que le souriant Sherpa népalais, coqueluche de tous les trailers, chausse les baskets pour se fendre d’un tour d’honneur aux côtés des participants du «Festi-trail» d’Autrans, une épreuve organisée en marge du célèbre Festival international du film de montagne. Courir, «fonder», voilà désormais les deux passions de l’insatiable crapahuteur, qui s’est illustré sur les tracés les plus exigeants du monde (il a notamment remporté l’Himal Race en 2002, l’Ultra-Trail du Mont-Blanc en 2003, Les Templiers en 2004, etc.) et s’apprête aujourd’hui à participer à ses deuxièmes Jeux olympiques*. Une escapade canadienne qu’il entend bien vivre «à fond», aligné au départ du 15 km skating. Forçat de l’effort – qu’il accomplit toujours sourire aux lèvres –, le sympathique maçon genevois sera le seul à défendre les couleurs de son Népal natal (il est né dans le petit village de Chulemo-Taksin, dans la région de l’Everest) dans l’arène canadienne. A 40 ans, plus zen que jamais, Dawa ne vise aucun exploit mais souhaite simplement que la devise olympique originelle – «l’important c’est de participer» – retrouve sa position centrale au sein d’épreuves désormais dominées par la performance et le professionnalisme. Interview.

Quelques semaines avant de mettre le cap sur le Canada, comment se déroule votre préparation ?
Depuis début novembre, je m’entraîne – pour la première fois – avec les fondeurs français. Je travaille aussi bien avec les athlètes de l’équipe A que ceux de l’équipe B ou encore, avec les juniors. Nous allons sur des Coupes du monde ou d’Europe mais aussi sur des épreuves régionales. Mon objectif est d’être le mieux préparé possible. Pour Vancouver, je suis déjà sélectionné pour l’épreuve de 15 km skating mais je vais également tenter de décrocher mon billet pour le sprint.

Quel coup de pouce vous donnent les athlètes tricolores ?
Ils me conseillent, me corrigent. Tout le monde est très gentil avec moi. J’ai beaucoup de défauts car je n’ai jamais skié dans «le bon sens». Fin 2002, quand j’ai commencé, j’essayais juste d’avancer, sans aucune technique. Cette année, j’ai pu m’y mettre plus sérieusement. Mais j’ai encore plein de défauts à corriger.

En termes de sensations, avez-vous désormais trouvé vos marques ? Aujourd’hui, appréciez-vous vraiment le fond ?
De plus en plus. Avant, dès que je devais évoluer sur une piste glacée ou aborder une descente, je n’étais pas très à l’aise. Aujourd’hui, c’est différent. J’apprécie beaucoup la sensation de glisse. Autrefois, si je devais choisir entre courir ou skier, la question ne se posait pas. Maintenant, dès qu’il y a de la neige, je chausse les skis de fond. J’aime ça ! Et cela tient en partie à l’évolution du matériel. Heureusement que Rossignol a accepté de me parrainer dès le début. C’est grâce à eux que j’ai pu continuer. Si je devais m’acheter tout le matériel, ce serait impossible. Je ne pourrais pas me le permettre.

Justement, parlant d’argent, comment financez-vous votre participation aux JO ?
Outre mon partenariat avec Rossignol, j’ai également un soutien de Quechua, qui me sponsorise pour la course à pied et qui va aussi m’aider pour cette aventure. Mais il faut quand même que je continue à travailler, comme maçon, au sein de l’entreprise Induni, à Genève. Heureusement que j’ai un patron très sportif, qui fait beaucoup de vélo, de ski de fond. Il m’épaule et me laisse m’entraîner. A côté de cela, j’essaie aussi de trouver d’autres sources de financement. Un ami m’a proposé de fabriquer un tee-shirt, «Avec Dawa à Vancouver». J’espère en vendre quelques centaines. Maintenant si les gens veulent m’aider individuellement, ils peuvent toujours prendre contact avec moi, via mon site Internet**.

En terre canadienne, aurez-vous une «équipe» autour de vous ?
Ce n’est pas sûr. Le Népal me paye juste mon billet d’avion et mon séjour là-bas. Annie, ma femme, m’accompagnera. J’ai demandé une accréditation pour elle. J’espère trouver un coach sur place car je n’ai pas les moyens de lui payer ses frais et son salaire. C’est impossible. Aujourd’hui mes déplacements et mes séances d’entraînement me coûtent environ 2 000 - 2 500 € par mois. J’ai demandé une bourse auprès du Comité international olympique mais pour les petits pays comme le Népal, la contribution est d’environ 1 500 dollars mensuels.

En tant qu’unique athlète à défendre les couleurs du Népal, vous sentez-vous investi d’une mission «patriotique» ?
Non. En tout cas, je ne ressens aucune pression supplémentaire en ce sens. Je ne suis pas plus connu au Népal qu’ici. Aller aux JO est, pour moi, une affaire de participation. J’aime l’esprit initial des Olympiades et c’est ce que je recherche avant tout. Même si je sais que tout cela est révolu. Aujourd’hui, c’est le règne des athlètes professionnels, qui ont les moyens pour arriver en haut. Mais je me dis qu’en restant simple, en étant amateur, on peut aussi faire de belles choses.

On vous sent un tantinet amer...
C’est vrai. Surtout quand on voit comment sont faites les sélections. Les Jeux olympiques sont devenus une affaire politique, un business à part entière. Si vous n’avez pas signé de grandes performances ou si vous ne disposez pas de gros moyens, vous avez très peu de chances de faire partie de cette aventure. Or, j’estime que des gens comme moi ont leur place là-bas. Et c’est ce que je veux montrer. Même si je finis dernier, ce n’est pas grave. L’esprit des JO, c’est avant tout de participer. Et moi, j’ai envie de me focaliser là-dessus. Mon objectif sera de skier le mieux possible, dans les meilleures conditions possibles.

Tout cela à 40 ans... !
J’aimerais bien qu’il y ait de jeunes Népalais aux prochains JO. Mais je sais que c’est assez compliqué. En tout cas, j’espère que ma participation donnera des idées aux jeunes générations.

* Dawa a déjà participé aux JO de Turin (2006) ainsi qu’à deux Jeux asiatiques, en 2003 et en 2007
** www.dachhiridawasherpa.com
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