Michel Guérin : mort d’un visionnaire
La disparition brutale de l’éditeur chamoniard Michel Guérin affecte la communauté montagnarde.
Les livres rouges sont en berne.
Leur «père», Michel Guérin,
s’en est allé. A l’heure du café, un
triste mercredi d’octobre. Un départ
prématuré. Une sortie de scène cruelle
– le jour-même de ses 55 ans – et directe.
Directe, tout comme la prose des auteurs maison, que
l’éditeur chamoniard savait intelligemment tirer
vers le haut et pousser à l’essentiel.
«Il voulait dépouiller ses ouvrages de tout
verbiage et il savait l’expliquer», souligne
Antoine Chandellier (journaliste et chef d’agence au
Dauphiné Libéré), qui a
signé La Trace de l’ange et Mission
alpinisme. «Il m’a beaucoup appris. A
être modeste, à accepter le regard
extérieur, à avoir un meilleur sens de la
narration, à écrire de manière plus
directe, plus incisive. C’était un personnage
audacieux.» Qui mènera sa barque contre
vents et marées, treize ans durant, au fil d’une
ligne éditoriale sans faille.
Carré mais pas fermé
La première idée de génie de ce fils de pub, ancien libraire, fut de remettre au goût du jour Les Conquérants de l’inutile et d’installer Lionel Terray dans un «carré rouge». Ce format bâtard – que des «experts» prétendaient invendable – fera mouche auprès des lecteurs, également séduits par l’iconographie de l’ouvrage. Le pari, pourtant risqué, est gagné. Et le reste de la «production Guérin» sera du même acabit, placé sous le sceau du bon goût. Voir un livre, le sentir, l’imaginer était chez le «père Michel» tout naturel.
Si son redoutable flair littéraire l’a poussé à peupler sa collection «Texte et Image» d’alpinistes légendaires (Lachenal, Livanos, Heckmair...), il a ensuite créé «Terra Nova», qui s’ouvre à d’autres récits, aux idées, aux polémiques. Il y a aussi cette «Petite Collection», à laquelle il était très attaché, car elle donne la parole à toute une population de sans-grades, d’humbles passionnés, de pignoufs attendrissants, de drôles de menteurs et d’athlètes de comptoirs. Dans un univers parfois monolithique, s’engouffrer dans la voie de l’humour permet d’alléger le propos. Michel Guérin, bon vivant, ne le savait que trop. Et une fois encore son «nez» ne l’a pas trahi, lorsqu’il est allé solliciter Dominique Potard, en 1997, pour éditer Le Port de la Mer de Glace, que l’écrivain avait déjà publié à compte d’auteur. Cette rencontre heureuse et fructueuse dépassera allégrement la simple relation professionnelle. «Dans nos vallées, il n’y a pas des tonnes de gens brillants. Michel laisse une empreinte très forte mais aussi un grand vide, note, très affecté, Dominique Potard. Je ne sais pas qui a sorti cette connerie que "nul n’était irremplaçable". Lui, il l’est en tout cas. C’était un mec pétillant. Il te tirait vers le haut, mais sans la ramener. C’était un esprit curieux. Tout l’intéressait.»
Auberge espagnole
Ce côté
touche-à-tout l’a d'ailleurs poussé
à décloisonner la littérature de
montagne. Pour la dépoussiérer, la dynamiser.
Pour laisser s’exprimer des acteurs de tous bords. Une
ouverture qu’apprécie particulièrement
Blaise Agresti, ancien commandant du Peloton de gendarmerie de
haute montagne de Chamonix, qui a signé, en 2006,
In Extremis. «La démarche
d’éditeur de Michel Guérin est
unique, dit-il. Sa maison est une véritable
auberge espagnole, où se croisent des gens disparates.
Avec à l’arrivée, un regard très
croisé, très mélangé sur la
montagne. Par cette approche "démocratique", il incarne
parfaitement l’esprit montagnard, l’esprit refuge.
Avec un même fil conducteur, il a su mettre en relation
des tas de personnalités différentes. Ce
qu’il a construit est complètement
exceptionnel.» Une singularité que son
équipe entend bien perpétuer. Depuis la
disparition du «premier de cordée», ses
collaborateurs – dont sa femme, Marie-Christine –
continuent à faire tourner la petite fourmilière
de la rue des Moulins, boostés par la sortie de
plusieurs ouvrages: en décembre, Allais, la
légende d'Emile, de Gilles Chappaz, et, au
printemps, une biographie de Patrick Berhault, coécrite
par Dominique Potard et Michel Bricola. La belle aventure
continue.