Dans les entrailles de l’Inlandsis
Après le Mali, la Patagonie et la Nouvelle-Zélande, le Groupe militaire de haute montagne a planté ses piolets au Groenland.
Est-ce l’Année polaire internationale qui a donné aux hommes du prestigieux Groupe militaire de haute montagne (GMHM), basé à Chamonix, l’idée de goûter à la glace d’une manière insolite ? Toujours est-il que les alpinistes d’élite ont placé l’étape européenne de leur tour du monde (lire ci-dessous) sous le sceau de l’originalité. En octobre dernier, ils sont allés se frotter aux parois bleutées de l’Inlandsis, la calotte glaciaire du Groenland. De retour d’expédition, le capitaine Thomas Faucheur nous livre ses impressions et fait le point sur ce fameux projet «7 continents, 7 alpinismes» initié par le GMHM en 2005.
JdP – Quel a été le principal challenge de cette aventure groenlandaise ?
Thomas Faucheur –Nous voulions escalader les moulins glaciaires qui se creusent dans la grosse calotte groenlandaise. Dans la zone où nous étions, l’épaisseur de glace est d’environ 1 000 mètres. C’est un univers féerique, magique, majestueux, dans lequel on se sent tout petit, même si nous nous sommes «contentés» de descendre dans des gouffres de 130-140 mètres, pour ensuite remonter en technique de piolet traction jusqu’à la surface.
A quelles difficultés vous êtes-vous heurtés ?
Nous évoluions dans l’obscurité. Qui plus est, la glace de ces moulins n’a rien à voir avec celle que nous connaissons habituellement. Elle est extrêmement comprimée. Elle est dure mais cassante. Nous entendions des craquements effroyables mais au final rien ne bougeait. C’est très surprenant et un peu stressant. Il ne s'agit pas d’être claustrophobe !
Grimper «décalé», original, est-ce le fil rouge de ce «tour du monde» de l’alpinisme ?
C’est l’ambition première de ce périple. Nous avons démarré avec le Mali et la chaleur, puis la transition a été radicale avec notre ascension du San Lorenzo, en Patagonie. Pour illustrer la glace en Europe, nous aurions très bien pu enchaîner les cascades tout l’hiver. Mais nous avons opté pour l’escalade sous-glaciaire au Groenland. Et nous allons continuer dans ce décalage, en choisissant des objectifs peu courus et des univers qui ne sont pas nécessairement les nôtres.
... Comme le ski de pente raide, en Nouvelle-Zélande ?
A la base, nous ne sommes pas des freeriders. Nous sommes plutôt grimpeurs- alpinistes que forts skieurs. Mais comme tout montagnard, nous aimons la polyvalence. Voilà pourquoi l’équipe s’est entraînée en pente raide une bonne partie de l’hiver 2006 avant de mettre le cap sur le Mont Cook. Cette parenthèse «ski extrême» dans la vie du groupe nous a demandé beaucoup de remises en question. Mais elle a été appréciée.
L’équipe est-elle toujours la même depuis la première étape du périple ?
Elle a quelque peu changé avec le départ de certains membres et l’arrivée de nouveaux, comme Dimitry Munoz. Mais le noyau dur est là. Le groupe s’est beaucoup soudé en cours de route. Aujourd’hui nous nous connaissons mieux. Les forces et les faiblesses de chacun sont identifiées. Nous n’avons jamais voulu que l’équipe soit constituée de clones mais, au contraire, qu’elle réunisse des individualités différentes, capables de travailler ensemble.
D’où cette volonté d’intégrer des personnalités extérieures, pas uniquement des militaires ?
Aujourd’hui nous recrutons nos membres à la fois en interne et en externe, sur base de candidatures ouvertes. Avant, quand le service national était de mise, il y avait toujours au sein du Groupe un ou deux appelés. Christophe Profit ou Jean-Christophe Lafaille ont ainsi fait leur service au sein du GMHM. Après 1999, nous avons réfléchi à la manière dont nous pouvions remplacer cette «ressource extérieure». Nous sommes donc allés voir du côté des jeunes de la FFME (Fédération française de la montagne et de l’escalade) ou de la FFCAM (Fédération française des clubs alpins et de montagne).
Etre «alpiniste d’Etat», professionnel de la grimpe sans la pression des sponsors, est-ce un luxe ?
C’est évidemment «confortable». Si quelqu’un veut faire de l’alpinisme de haut niveau et en vivre, c’est très difficile. Dans le paysage français, peu de grimpeurs sont dans cette situation. Il y avait bien sûr Lafaille et Berhault. Il y avait... La pression médiatique ou celle des sponsors peuvent susciter bon nombre de questions. Mais je ne me permettrai pas d’y répondre.
En tant que groupe d’élite, quel poids pèse sur vos épaules ?
Nous savons que nous sommes attendus. Nous sommes une vitrine, qui est donc forcément regardée, parfois jalousée. La meilleure arme dans ce cas, c’est d’ouvrir nos portes. C’est la raison pour laquelle nous partons régulièrement avec des personnes extérieures. Le grimpeur Arnaud Petit nous a accompagnés au Mali et les glaciologues Janot Lamberton et Luc Moreau nous ont rejoints au Groenland. Sur cette expé, il y avait également un biologiste privé qui effectue des recherches sur les micro-organismes ainsi qu’un médecin de l’Ecole militaire de haute montagne. Mais le matériel qu’il devait tester n’a pas fonctionné, car il faisait trop froid.
Vous perpétuez donc votre rôle de «laboratoire de l’extrême».
Sur le plan militaire, nous sommes un peu déconnectés de l’opérationnel pur. En revanche, nous avons énormément de retours sur la vie dans les milieux extrêmes et l’utilisation de matériels spécifiques dans ces conditions-là, qu’il s’agisse d’équipement de montagne mais aussi de parapente, para-moteur, panneaux solaires, etc. Nous avons toujours des enseignements à transmettre à ceux qui sont plongés dans l’opérationnel.
L’année dernière, le GMHM a soufflé ses trente bougies. Comment entrevoyez-vous l’avenir du Groupe ?
Nous nous sentons dans la continuité de ce qui a été accompli précédemment. Même si dans l’histoire du Groupe, il y a nécessairement eu des époques différentes, liées au chef de l’équipe mais aussi à ses hommes. Quelqu’un qui pratique l’alpinisme pendant plusieurs années est capable d’aller dans de nombreuses directions différentes. Grâce à la montagne, qui exige une adaptation et des réajustements permanents, vous pouvez appréhender tous les milieux. Pour l’instant, nous restons dans cette dynamique d’aller explorer des endroits où pas grand monde ne va.
Quel sera le prochain point de chute ?
Le Mont Logan, au printemps 2008. C’est un sommet situé sur la frontière entre le Canada et l’Alaska. Vu sa situation, nous devrions encore ramasser de la neige et du mauvais temps. Le seul avantage, c’est que là-bas, il fait clair en permanence. Nous pourrons donc grimper «jour et nuit».
«7 continents, 7 alpinismes»
L’ambitieux projet, amorcé par le GMHM en 2005, est de réaliser sept expéditions sur les sept continents, en mettant chaque fois en œuvre une pratique différente de l’alpinisme.
lQuatre étapes ont été accomplies :
– Afrique (janvier 2005) : escalade libre au Mali (photo ci-contre), dans la région de la Main de Fatma et du Mont Hombori
– Amérique du Sud (octobre-novembre 2005) : escalade mixte en Patagonie, sur le San Lorenzo, un sommet peu connu, excentré et éloigné des «courus» Fitz Roy et Cerro Torre
– Océanie (octobre-novembre 2006) : ski de pente raide en Nouvelle-Zélande, au Mont Cook, une première pour cette équipe composée essentiellement de forts grimpeurs !
– Europe (septembre-octobre 2007) : escalade glaciaire au Groenland (lire ci-dessus).
lLes trois dernières étapes :
– Amérique du Nord (1er semestre 2008) : ascension d’une grosse arête neigeuse au Mont Logan, sur la frontière entre le Canada et l’Alaska
– Antarctique (entre 2008 et 2009) : escalade artificielle sur les pitons rocheux du «Queen Maud Land»
– Asie (en 2009) : la haute altitude et l’Himalaya pour boucler le périple en beauté en réunissant tous les paramètres de difficultés. Sommet encore à déterminer.
Une équipe de pointe
Le GMHM est composé d’une dizaine d’hommes, officiers, sous-officiers et engagés volontaires de l’Armée de terre. Vitrine et «laboratoire» pour l’alpinisme et les expéditions lointaines, il a pour mission la maîtrise des conditions physiques et climatiques extrêmes. Ont participé à l’expédition groenlandaise : le capitaine Thomas Faucheur, le capitaine Lionel Albrieux, le sergent-chef François Savary, le sergent de réserve Dimitry Munoz, le caporal-chef Manu Pellissier, le médecin principal Damien Cabane (EMHM), l’adjudant-chef Philippe Ramorino (caméraman ECPAD).
Juin/Juillet 2024
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