Claude Lelouch : «La montagne est exigeante. Elle ne fait pas de cadeau.»
Sur les écrans depuis le 2 avril, «Salaud, on t’aime» a été tourné en majeure partie à Praz-sur-Arly et dans quelques communes avoisinantes.
Chose promise, chose due. Lorsqu’il a tourné la dernière scène de Salaud, on t’aime, son 44e long métrage (cf. nos éditions précédentes), Claude Lelouch avait lancé aux quelque 200 figurants réunis dans l’église de Saint-Gervais qu’ils seraient tous invités à l’avant-première du film. Le cinéaste, en homme de parole, a tenu promesse, en conviant figuration et autres «petites mains» locales à une projection spéciale, au cinéma Panoramic de Megève.
JdP – Chacun de vos films est personnel mais celui-ci l’est peut-être encore davantage car, à bien y regarder, il y a beaucoup de vous dans le personnage de Jacques Kaminsky, ce photographe de guerre campé par Johnny Halliday.
Claude Lelouch – J’ai effectivement commencé comme ça dans ce métier. Le personnage de Kaminsky est un mélange de moi et de Johnny. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai choisi un interprète avec lequel j’avais des points communs. Nous nous sommes un peu sur-impressionnés tous les deux. Lui devant la caméra et moi derrière. C’est un peu notre histoire à tous les deux. Johnny a quatre enfants et moi j’ai cinq filles – comme dans le film – et deux garçons en plus. Nous savions de quoi nous parlions. Lui comme moi avons un peu vécu tout ça. Je me suis peut-être un peu plus occupé de ma caméra que de mes enfants et lui de son micro que de ses proches. Mais ce film touche aussi tout le monde, car il porte sur les familles recomposées.
Justement, que représente à vos yeux la famille ?
Comme je le dis dans le film, ce sont mes «emmerdes préférées», des emmerdes dont on a besoin. Il fallait un jour faire un film là-dessus, pour expliquer que la famille ce n’est pas si simple que ça. Car c’est un condensé de haine, de jalousie et en même temps d’amour. J’avais envie de mettre en images ce paradoxe incroyable. La vie est une succession de chagrins et de joies qui se mélangent. C’est ça qui en fait le sel. Il est très difficile pour les uns et les autres – sans faire de jeux de mots – de trouver ce que l’on cherche. Amour, amitié, famille, travail... tout s’entremêle et parfois on perd pied, car on ne sait plus où l’on en est. J’ai d’ailleurs dédié ce film à mes enfants. Ils l’ont vu et adoré. J’avais très peur que ce ne soit pas le cas.
Que retenez-vous de cette expérience avec Johnny ?
Ce fut merveilleux du début à la fin. Johnny m’a fait une confiance totale, aveugle même. Mais je n’avais pas besoin de lui demander grand-chose car il est le personnage. Il a ce type de rapport avec sa famille. C’est un grand sentimental. Un amoureux. Johnny a sans doute compris le film mieux que quiconque. Puisque cette histoire, c’est sa vie aussi. Il a eu plusieurs femmes, plusieurs enfants, du succès. Je recherchais un type qui ait une tête de baroudeur, qui ait la vie derrière lui. Ce film c’est aussi l’histoire d’un homme qui accomplit des choses pour la dernière fois.
Il y a d’ailleurs un petit côté testamentaire dans cette histoire...
Testamentaire ou crépusculaire. A partir d’un certain âge, quand vous faites les choses, vous vous dites : «C’est peut-être pour la dernière fois.» Et moi je suis rentré dans mes «dernières fois», ma dernière histoire d’amour, mes derniers enfants, mes derniers films... A chaque fois que j’attaque un tournage, je me dis que c’est peut-être le dernier. Aujourd’hui j’ai 76 ans et j’ai passé ma vie à observer les autres, les hommes, les femmes, les enfants, les animaux, les aigles – vous avez d’ailleurs vu son importance dans le film, il voit tout, il a l’œil du photographe. Et pour cette histoire, j’avais besoin d’un lieu où la nature est importante, car elle est un modèle. Si on la regarde, elle nous enseigne comment vivre mais en même temps elle est d’une cruauté terrible. La montagne était le décor parfait pour cela. Elle a quelque chose d’exigeant. Elle ne fait pas de cadeau. C’est le seul endroit où toutes les saisons sont intéressantes et nettes. Moi je l’aime profondément. On ne peut pas tricher avec elle. Comme Salaud, on t’aime est un film sur les parfums de vérité, il fallait que le décor soit vrai, authentique. C’est pour cela que je voulais absolument trouver un domaine situé entre 1 200 et 1 300 mètres. Car à cette altitude les saisons sont très belles. Le spectacle y est permanent. C’est magique.
Et cet endroit idéal, c’est chez vous, dans le Domaine de l’Aigle, à Praz-sur-Arly. Que va-t-il désormais advenir de ce «décor» sur mesure ?
Si le film marche je le garde [rires]. S’il ne marche pas, je serai obligé de le vendre. Le domaine a vraiment été acheté pour ce projet, pour qu’il soit l’écrin de cette histoire que nous avons tournée au fil des saisons. Je voulais vraiment un endroit isolé où l’on a envie de poser ses valises. Donc si les gens vont voir le film, je pourrai garder le domaine. S’ils n’y vont pas je le vendrai.