Portraits - N°77 - Octobre/Novembre 2007

Yan Giezendanner, messager du ciel

Pionnier du routage en montagne, il «mitonne» une météo sur mesure à de nombreuses expéditions.

 

Un appartement lumineux aux Pèlerins, à quelques longueurs du rond-point de la Vigie. C’est depuis ce camp de base chamoniard que le météorologue Yan Giezendanner «route» les alpinistes sur les plus belles citadelles de la planète. Qu’ils soient «ténors» ou simples «choristes», leurs ascensions ont pris une autre tournure depuis que le routage en montagne existe. Depuis que Yan s’est lancé dans l’aventure il y a une dizaine d’années. «Le routage est un outil parmi d’autres. Il fait figure de progrès technique au même titre que le téléphone satellite, constate le prévisionniste. On peut s’en passer. Mais avec, ça va mieux…» Beaucoup mieux. Surtout quand le temps est compté et qu’il s’agit de ne pas louper un créneau optimal.

Pionnier du routage montagnard – les prévisions sur mesure ont longtemps été l’apanage des marins – Yan Giezendanner est aujourd’hui encore le seul membre du team Météo France Sport1 à se focaliser sur les hauts sommets. A son «palmarès» : une vingtaine d’Everest et une kyrielle d’autres 7 000 et 8 000, dont il connaît toutes les voies et les caractéristiques météorologiques. «J’espère qu’après moi d’autres prendront la relève. Ce n’est pas une question d’envie mais plutôt une histoire de disponibilité.» Une disponibilité qui a un prix : environ 300 E par jour. C’est le tarif demandé par Météo France pour détacher son prévisionniste-vedette et lui permettre de se consacrer à temps plein à «ses» expés – une dizaine par an. «Il y a une grille de tarification en fonction des heures que j’y passe, détaille Yan. Certaines équipes prennent les prévisions sur deux ou trois semaines. D’autres moins. Au départ, les gens trouvaient ça cher mais le routage fait désormais partie intégrante du budget des expéditions.» Il se tourne alors vers son matériel. «Tu vois, c’est pas démentiel. J’ai juste deux ordinateurs et une connexion ADSL, comme chez n’importe qui. Moi je ne suis que l’interface entre la machine et l’homme.»

 

Le prêt-à-porter et le sur-mesure

 

Au fil du temps, le «lecteur» de cartes a appris à interpréter toutes les subtilités des images satellites, modèles numériques et autres calculs livrés par l’ordinateur. «Je prends les portions qui m’intéressent et j’en extrais les éléments nécessaires pour prévoir le temps sur une semaine ou deux.» Autant de données de haute précision qui sont affinées plusieurs fois par jour et transmises à l’autre bout de la terre via SMS, mail ou téléphone. «C’est comme dans la couture, il y a le prêt-à-porter et le sur-mesure», compare Yan, qui adapte également ses conseils en fonction du niveau des alpinistes. «Avec un pro en solo on peut par exemple envisager une ascension express, en bordure de perturbation. Mais il est impensable de miser sur un aller-retour vite fait bien fait avec une "expé" commerciale. Dans ce cas, il faut tabler sur un créneau plus large. Même si le routage permet de minimiser les risques objectifs, le danger reste omniprésent à haute altitude.» Surtout depuis que le dérèglement climatique s’en est mêlé...

 

«Troisième de cordée»

 

Consulté, écouté, Yan Giezendanner fait partie intégrante des expéditions qu’il route. Un vrai «troisième de cordée», comme l’avait baptisé le regretté Patrick Berhault. «Je me sens impliqué même si, sur le terrain, ce sont les alpinistes qui décident d’y aller ou pas. Quand ils partent à 11 heures du soir, je pense à eux. Et je suis heureux quand ils atteignent leur but. Surtout quand il s’agit d’amateurs, qui le font vraiment par passion.» Une passion que notre homme, cloué dans une chaise roulante, partage pleinement, à distance et sans frustration aucune. «Je suis dans ce "fauteuil à la con" à cause d’une sclérose en plaques qui s’est déclarée il y a 25 ans. Je me suis cassé la jambe et depuis, je n’arrive pas à remarcher.» De toute façon, la haute montagne – «trop froide, trop austère, trop hostile» – ne l’a jamais attiré. «L’alpinisme est un sport dangereux, beaucoup plus risqué que la F1, mais dans lequel tu gagnes un million de fois moins ! Et pourtant, dans les yeux des jeunes grimpeurs d’aujourd’hui, je vois la même flamme que dans ceux de leurs prédécesseurs.» Il ne peut alors s’empêcher de jeter un regard au cristal FFME (Fédération française de la montagne et de l’escalade) que lui a offert Jean-Christophe Lafaille, après son ascension du versant sud du Shishapangma. «Il m’a simplement dit : "Je l’ai fait grâce à toi." En 2004, j’ai aussi reçu la médaille des Sports, par l’intermédiaire de Patrick Berhault, pour son ascension de l’Everest en 2003.» Berhault, Lafaille. Deux grands, deux piliers, partis beaucoup trop tôt.

«Mon carnet d’adresses ressemble aujourd’hui à un cimetière, reconnaît le météorologue. Perdre des amis c’est toujours dur.» Et Yan de se souvenir d’Eric Escoffier, disparu au Broad-Peak, ou encore du jeune Marco Siffredi. «Il m’a appelé du sommet de l’Everest, avant de s’élancer, surf aux pieds, dans le couloir Hornbein. Il m’a dit : "Adieu Yan !" Je lui ai répondu : "Dis pas de c........, tu me téléphones quand t’es en bas." Mais il a répété "Adieu Yan". C’était choquant. Pour l’instant, personne n’est mort à cause d’une mauvaise prévision météo mais si ça arrive un jour, j’arrêterai. C’est sûr.»

Nécessairement blindé – comme beaucoup le sont devenus dans la vallée –, Yan Giezendanner ne peut cependant pas s’empêcher de grincer des dents lorsque surviennent des drames qui auraient pu être évités. Comme celui qui a coûté la vie à quatre jeunes gens, morts de froid cet été sur l’arête de Bionnassay. «C’est révoltant. Aujourd’hui les gens veulent faire tout vite, dans le stress. Le bon sens montagnard n’existe plus.» Voilà pourquoi après son premier bouquin2, il envisage de donner corps à un nouvel ouvrage, plus pratique. «Pour revenir à une météo un peu plus empirique, combinée aux outils modernes, afin que les alpinistes retrouvent le sens de l’observation. Aujourd’hui les gens ne regardent plus le ciel, la forme des nuages ou les variations de leur altimètre. Ils ne voient pas les signes avant-coureurs de mauvais temps. Et ça, c’est vraiment dommage.»

 

1 Cette équipe de pointe travaille sur les gros rendez-vous sportifs : voile, F1, rallye ou encore tennis, à Roland-Garros.

2 Routeur des cimes, de Yan Giezendanner et Françoise Guais (Éditions Guérin)

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