Pays du mont Blanc - N°97 - Février/Mars 2011

Tête Rousse - Le glacier restera sous haute surveillance

Chantier hors norme, la purge du glacier de Tête Rousse, situé à 3 200 mètres d’altitude dans le massif du Mont-Blanc, a tenu en haleine la presse nationale et internationale une bonne partie de l’été. Plus d’un siècle après le terrible drame de 1892 – une énorme coulée de lave torrentielle avait alors ravagé plusieurs hameaux et les thermes de Saint-Gervais, entraînant la mort de 175 personnes – un nouveau scénario catastrophe semblait se dessiner, une énorme poche d’eau (65 000 m3) s’étant reformée dans les entrailles du glacier. Cette nouvelle épée de Damoclès au-dessus du bourg saint-gervolain a, heureusement, été (provisoirement ?) levée, grâce à la réactivité des scientifiques, des instances municipales, des services étatiques et de tous les acteurs de terrain. Mais cette affaire, aujourd’hui retracée dans l’ouvrage Menace sur Saint-Gervais (voir page 7), est loin d’être terminée, comme nous l’a confié Christian Vincent, ingénieur de recherches au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement du CNRS de Grenoble. Interview.

JdP – En quoi ce dossier est-il «extraordinaire» ?
Christian Vincent – Découvrir une poche d’eau à l’intérieur d’un glacier est déjà en soi exceptionnel. Pour ce faire, nous avons mis en œuvre des méthodes de prospection géophysiques inédites. C’est une première scientifique en fait. La présence «physique» de l’eau a ensuite été prouvée grâce à des forages, puis à la descente de caméras dans la cavité. Cette première étape s’est déroulée en juillet 2010.

Une fois cette présence avérée, ce fut immédiatement le branle-bas de combat ?
Oui, nous sommes immédiatement allés en préfecture et avons alerté les autorités préfectorales et communales. Il était impératif de vidanger cette poche d’eau sous-glaciaire le plus rapidement possible car il existait un risque qu’elle cède brutalement. Nous savions qu’il pouvait y avoir une rupture de la langue terminale du glacier. Avec une menace directe pour 3 000 personnes.

Pourquoi les opérations de purge se sont-elles déroulées dans l’extrême urgence ? Le glacier n’était-il pas sous surveillance depuis la catastrophe de 1892 ?
Si. Mais ce n’est qu’en 2007 que s’est posée la question de savoir si le glacier de Tête Rousse pouvait encore poser un problème. A l’origine de ces interrogations il y avait aussi une question financière. Cela faisait alors plus de 100 ans que la galerie de surveillance aménagée sous le glacier et censée drainer l’eau était en service et que, chaque année, des ouvriers montaient déblayer la glace, refaisaient le soutènement, etc. Ce qui coûtait cher. Et c’est ainsi que s’est posée la question de l’utilité de cette galerie avec, à la clé, une nouvelle étude glaciologique sur le glacier de Tête Rousse.

Etude qui a donc permis d’éviter une nouvelle catastrophe ?
Effectivement. Ces recherches ont démontré que la galerie de 1904 n’était pas vraiment utile car elle est mal située. Mais surtout, elles ont permis de détecter une «zone d’anomalies». Dès le départ, nous n’avions pas exclu la présence d’eau et, dès 2008, nous avions suggéré des forages pour le confirmer ou pas. Confirmation qui est donc intervenue.

Avec à la clé la mise en œuvre d’un chantier hors norme, qui s’est déroulé une bonne partie de l’été et de l’automne derniers. Une aventure peu banale…
Ce chantier est exceptionnel du fait de l’altitude, de la haute montagne. Nous sommes là-haut à 3 200 mètres et les entreprises n’ont pas tellement l’habitude de travailler dans ces conditions-là, très loin de tout, avec un besoin énorme en matériel. Heureusement, il y a eu une très bonne collaboration et coordination entre les organismes de recherches, les services de l’Etat, les politiques, les élus. Dans ce cas de figure, il ne s’agissait pas de tergiverser. Nous devions agir le plus rapidement possible.

A ce jour, combien de mètres cubes d’eau les pompes ont-elles pu évacuer ?
Au départ, nous avions identifié 65 000 m3 d’eau, avec une fourchette d’incertitude assez grande (environ 10 000 m3). Finalement, nous sommes arrivés à en pomper environ 48 000 m3. Il doit aujourd’hui rester quelques milliers de m3 à l’intérieur du glacier. Mais il s’agit d’eau résiduelle, située à travers différents interstices que l’on ne peut pas atteindre. Mais ces «restes» ne sont pas dangereux en eux-mêmes. En revanche, on peut craindre un nouveau remplissage de la cavité…

Pourquoi ?
Dans un glacier classique, typique, l’eau chemine en surface et en profondeur, puis elle sort par un exutoire dans la langue terminale. Mais ici, cette langue terminale est composée de glace froide (à température négative) et étanche. Donc, quand l’eau s’infiltre et qu’elle percole dans la partie haute du glacier, elle chemine dans les entrailles de la glace mais dès qu’elle atteint cette barrière étanche, elle est retenue. Elle est prisonnière et elle s’accumule.

La question essentielle est donc de savoir à quel rythme la poche va se remplir à nouveau ? Comment le déterminer ?
Pour l’instant, nous ne le savons pas. Nous sommes en train de prendre des mesures pour déterminer la vitesse de remplissage. Plusieurs moyens sont à mettre en œuvre. Le premier, déjà opérationnel, consiste à placer des capteurs de pression à l’intérieur du glacier, dans les trous de forage réalisés cet été. Ces instruments permettent de mesurer la hauteur d’eau, donc le niveau de remplissage de la cavité. Grâce à ces sondes piézométriques, équipées d’un système téléphonique et de panneaux solaires, nous obtenons des mesures tous les jours. Nous recourons également à la résonance magnétique des protons, une méthode de prospection géophysique qui évalue la quantité d’eau liquide dans un volume déterminé.

Quel sera le prochain «épisode» ?
L’urgence est vraiment de parvenir à déterminer la vitesse à laquelle se remplit la cavité. Et la deuxième priorité est de suivre l’évolution de sa géométrie. Cette cavité ne va pas rester stable. Actuellement elle est vide et elle va donc se métamorphoser avec la déformation de la glace, qui est un matériau vivant, plastique. Nous allons donc mesurer ces flux. Par la suite nous allons également mettre en place d’autres méthodes de prospection pour suivre le remplissage. Un protocole de mesures doit être validé sous peu. En hiver, nous ne sommes pas trop inquiets de ce qui peut se passer. Mais dès les mois d’avril-mai, nous allons suivre tout cela de très près. Cette aventure scientifique est réellement exceptionnelle. Même si elle nous a parfois empêché de dormir la nuit…



Menace sur Saint-Gervais

Préfacé par Jean Jouzel (glaciologue et vice-président du GIEC – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – Prix Nobel de la Paix 2007, conjointement avec l’ancien vice-président américain Al Gore), le livre Menace sur Saint-Gervais (aux éditions Catapac) se veut un ouvrage informatif et didactique, sans être pour autant rébarbatif quant aux explications scientifiques données. Sous la plume d’Eliane Patriarca, journaliste au quotidien Libération, vous (re-)découvrirez l’histoire agitée de Tête Rousse, ce «petit bout de glacier», qui a causé bien des tourments à la population saint-gervolaine. Vous rentrerez également dans les entrailles de cette cavité glaciaire que le photographe Pascal Tournaire a mitraillée sous toutes les coutures. 110 pages et de très nombreuses illustrations. Prix de vente : 25 €
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Michel Clément [Montbéliard], résident à Chamonix et cycliste invétéré, nous a écrit pour nous faire part de son mécontentement eu égard à l’état des routes dans la vallée.

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