Quand les Alpes suent à grosses gouttes
Le réalisateur Gilles Perret braque les projecteurs sur les conséquences du réchauffement climatique en station.
Quincy, hameau de Mieussy, situé à 800 mètres d’altitude. C’est là – et dans les stations environnantes – que Gilles Perret a situé l’intrigue de son nouveau documentaire : Ça chauffe sur les Alpes ! Avec, comme de coutume, un point de vue d’auteur très affirmé mais «ouvert au débat», le réalisateur nous fait revivre l’hiver 2006-2007.
Au fil d’images chocs (skieurs déambulant sur l’herbe, camions déversant de la neige pour blanchir les pistes, etc.) et de témoignages multiples, Gilles Perret approche la problématique par le biais environnemental et scientifique mais aussi à travers ses dimensions sociale et politique. Son film appuie «là où ça fait mal» et s’impose comme une nécessaire piqûre de rappel pour tous ceux qui seraient tentés d’avoir la mémoire courte après cette belle saison 2008.
Aviez-vous planché sur la thématique du réchauffement avant l’hiver 2006-2007 ou les événements climatiques vous ont-ils poussé à sortir la caméra ?
Le film avait déjà été préparé en amont. Certaines interviews – avec la climatologue, le journaliste du Monde – avaient été mises en boîte. Le fait d’être confronté à un hiver exceptionnellement doux et peu enneigé a cependant précipité le tournage. Disons que ce fut un «heureux» hasard pour le documentaire. Mais peut-être pas pour les stations...
Elles sont pourtant nombreuses à avoir retrouvé le sourire après ce cru 2007-2008...
La neige étant présente dès Noël, on a recommencé à entendre parler de saison «exceptionnelle». C’est comme si l’hiver 2006-2007 était une simple parenthèse. Sauf que les comptes, eux, n’ont pas oublié... Certaines stations ont encore de gros trous à boucher. Les Gets, par exemple, avaient enregistré une baisse de 4 ME sur un chiffre d’affaires habituel de 13 ME. Ça laisse forcément des traces.
Ne pas retenir les leçons du passé, est-ce la grosse erreur des responsables de stations ?
C’est effectivement une question de mémoire mais aussi de rythme de vie, imposé par l’économie de marché. Aujourd’hui, tout doit aller vite, sans pouvoir être en adéquation avec les rythmes de la nature. Il n’y a donc rien d’étonnant à cet état de fait. Un gestionnaire de station de sports d’hiver a des salariés à payer, des prêts à rembourser. Il veut aller de l’avant car il n’a pas une marge de manœuvre énorme. Si l’on se réfère aux données scientifiques, les incidents seront de plus en plus fréquents à l’avenir. Qu’on le veuille ou non. Ce dernier hiver a soi-disant été bon. Or la moyenne des températures n’est pas plus basse que la saison précédente. Sauf que cette fois les perturbations sont arrivées pendant des périodes de froid, et que nous avons eu droit à de la neige au lieu de la pluie.
Mais le plein de neige ne signifie pas pour autant le plein de skieurs. Comme en témoigne la fréquentation des domaines lors des dernières vacances de Pâques.
Aujourd’hui, la tendance est de ne plus miser sur le tout ski mais bien de se «di-ver-si-fier». C’est le discours majoritaire mais il reste un... discours. Dans les faits, il n’y a rien de concret. L’industrie du ski est viscérale chez certains et cela, depuis les années 70.
Dans ce cadre, envisager la montagne 365 jours par an est-ce un leurre ?
Je pense qu’au niveau politique, des décisions un peu plus incitatives et plus courageuses devraient être prises. Pour l’instant les stations restent dans une spirale infernale : rentabilisation des investissements, garantie de «produits neige», augmentation des forfaits, recherche de la clientèle de plus en plus loin, etc. J’ai l’impression qu’il faudra un hiver encore plus dramatique que celui de 2006-2007 pour qu’enfin les choses bougent. Mais il est certain que, dans cette affaire, certains y laisseront des plumes. Car à ce jour personne n’est capable de mettre le pied sur le frein.
Or, les palliatifs technologiques au manque de neige (retenues collinaires, canons, etc.) ont leurs limites...
Il est difficile de s’extraire de cette logique du ski à tout prix. Pour beaucoup, s’il n’y a pas de ski en montagne, il n’y a rien d’autre. Depuis les années 70, c’est le principe qui prévaut. Je ne veux surtout pas apparaître comme un donneur de leçons mais ce qui m’horripile c’est toute cette hypocrisie autour de l’environnement. Toutes ces stations qui font des campagnes de communication pour dire qu’elles sont les plus vertes possibles. D’accord, elles offrent des cendriers de poche et mettent de l’huile biodégradable dans les dameuses. La belle affaire... Surtout quand on sait que les offices de tourisme mettent le paquet pour aller séduire de plus en plus loin la clientèle, en Chine, en Inde. Où va-t-on ? Le tourisme, d’une manière générale, ne peut pas s’engager pour la planète. A partir du moment où vous essayez d’attirer des millions de gens, acheminés la plupart du temps en avion, c’est incompatible. Il est évident que je ne dis pas «arrêtons tout !». Mais je critique la malhonnêteté intellectuelle et l’utilisation de la caution environnementale à des fins marketing.
Votre film a été projeté un peu partout en station, dans les écoles. Quels sentiments prévalent parmi les spectateurs ? Dans quel sens va le débat ?
Aujourd’hui tout le monde a conscience du réchauffement climatique et de la nécessité de protéger notre environnement. Ce ne sont plus des problématiques réservées à ceux que l’on qualifiait, il y a quelques années encore, de dangereux utopistes. Très peu d’élus locaux ou de responsables de station sont venus voir le film. Et c’est dommage car ils sont censés nous donner des directions pour l’avenir. Je peux comprendre qu’il n’est pas agréable de voir ce qui a fait la fortune de certains être éventuellement remis en cause. Mais la problématique va bien au-delà du simple constat. J’en ai ras-le-bol d’entendre dire : «Que voulez-vous qu’on y fasse ? C’est comme ça, on n’a pas le choix.»
Comment entrevoyez-vous l’avenir ?
Le problème est partout le même. Tant que la logique financière règnera en maître, avec des lobbies importants dans tous les domaines, le bien commun passera toujours derrière les intérêts individuels. Les gens n’ont pas envie d’avoir de la mémoire car cela signifierait mutualiser certaines choses, comme l’environnement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle dans ce film j’ai vraiment voulu faire le lien entre le social, le politique et l’environnement. Arrêtons de faire croire aux gens – comme on l’a entendu pendant le Grenelle – que tout est dissociable. Comme le souligne Hervé Kempf, journaliste au Monde, dans cette affaire de réchauffement, ce sont les «pauvres» qui seront les premières victimes, à l’autre bout de la planète mais aussi chez nous, comme on le voit avec les saisonniers. J’espère en tout cas que ce film permettra à certains de prendre un peu de recul, d’avoir un regard distancié. Car quand on est le nez dans le guidon, il n’est pas toujours évident de se rendre compte de la réalité des choses.
Photos : Gilles Perret
Ça chauffe sur les Alpes !
Conçu comme une chronique, le documentaire réunit pêle-mêle les montagnards, les villageois, les scientifiques, les élus et les économistes. Tout comme les autres réalisations de Gilles Perret, le film a été tourné en grande partie dans son «fief» de Quincy. «C’est ma façon de travailler, dit l’auteur. J’aime partir du local pour ensuite élargir le débat. Il n’y a pas besoin d’aller à l’autre bout de la planète pour trouver des gens intéressants. Au départ d’exemples locaux, je m’attelle à décortiquer les mécanismes qui ont mené à une situation donnée.»
A voir – ou à revoir – Ça chauffe
sur les Alpes ! peut être commandé sur le
site
www.vuesdequincy.com (23 € frais de port inclus).