Livres - N°100 - Août/Septembre 2011

«Michel Croz, ce grand oublié de l’histoire de l’alpinisme»

 

Michel Croz ? A l’évocation de ce nom, il y a fort à parier que beaucoup auront du mal à resituer le bonhomme. Un montagnard, certes. Un éperon dans le massif du Mont-Blanc. Une avenue. Le nom de l’ancienne salle des fêtes chamoniarde, partie en fumée en 1999. Mais encore... Pourtant, celui que le célébrissime Edward Whymper avait gentiment rebaptisé le «prince des guides» aurait bien mérité de figurer en bonne posture dans la belle encyclopédie des «sommités montagnardes». Eu égard à sa droiture mais aussi à son talent de «grand défricheur». Un talent  (indissociable de celui de son «partenaire» britannique) auquel Marcel Pérès a souhaité rendre hommage dans «La Cordée royale»*.

 

JdP – Pourquoi vous êtes-vous intéressé au personnage de Michel Croz ? 

Marcel Pérès – Quand je suis arrivé à la tête de l’ENSA (Ecole nationale de ski et d’alpinisme de Chamonix), à la fin des années 70, j’avais été surpris que ce nom n’évoque pas grand-chose, même dans le milieu des alpinistes. Si aujourd’hui vous parlez de Jacques Balmat, par exemple – même s’il y a plusieurs décennies d’écart entre les deux hommes –, tout le monde sait qui il était. Pas Michel Croz. Or c’est un personnage à l’épaisseur humaine remarquable, d’une très grande humilité, doublé d’un excellent technicien et connaisseur de la montagne.

 

Autant de qualités qui ont séduit un «monument» de la montagne : Edward Whymper.

Oui, Croz avait réussi à gagner sa confiance. Whymper en disait le plus grand bien. Ce qui n’était pas du tout son avis sur d’autres guides de l’époque, qu’il considérait comme avinés, âpres au gain. Croz, lui, forçait le respect. Ses qualités techniques étaient indéniables. Il avait une force herculéenne. Sa puissance faisait des merveilles. Whymper tenait vraiment compte de tout ce qu’il disait. En termes d’amitié, leur relation allait au-delà des liens basiques entre «payeur et payé». J’aime le côté improbable de cette rencontre entre deux talents complémentaires : d’un côté, un homme qui n’avait pas du tout vocation à faire de l’alpinisme (Whymper), car venant d’un milieu d’illustrateurs, et de l’autre, un guide qui était, au départ, «l’homme de main» d’un autre Anglais. Ils se sont rapprochés au gré des circonstances et c’est cela qui est beau. D’autant que leur rencontre a débouché sur des premières formidables pour l’époque, notamment la barre des Ecrins et le Cervin, des sommets considérés alors comme inaccessibles, inexpugnables.

 

Croz (35 ans) perdra d’ailleurs la vie après la conquête du Matterhorn. Une conquête qui attisait les passions tant côté suisse qu’italien.

Dans cette affaire, la réalité a dépassé la fiction. Il y avait une telle compétition pour cette première historique au Cervin, avec une cordée tentant le sommet sur le versant suisse et une autre, simultanément, côté italien. Cela ne s’est jamais reproduit. Et puis il y a eu aussi cet épilogue tragique, avec la mort de Croz et de trois alpinistes britanniques au cours de la descente, Whymper étant le seul survivant avec ses deux guides suisses. La tragédie connaîtra d’ailleurs des prolongements judiciaires. Ce qui ne s’était jamais vu.

 

Vous qui connaissez bien le milieu du secours, rétrospectivement et compte tenu de tous les éléments compilés, pensez-vous que la mort de Michel Croz a pu être «provoquée» ?

Moi, j’ai étudié tous les faits historiques. Mais même si aujourd’hui on faisait analyser la corde qui a «rompu», il serait difficile de prouver si elle a été coupée ou non. Cela dit, il y a tout un faisceau d’éléments convergents qui montrent que le guide Pierre Taugwalder n’était pas très net, tout comme son fils (tous deux s’en sont sortis avec Whymper). Il aurait très bien pu agir délibérément pour rester après coup – avec son fils – le seul rescapé du Cervin. Taugwalder père était aux antipodes d’un Michel Croz. Et l’on est bien en droit de se demander pourquoi il avait attaché les quatre premiers alpinistes avec une corde en chanvre d’une section bien moindre que celle utilisée habituellement. Voulait-il qu’elle rompe en cas de dévissage des premiers ? Il m’est difficile d’être catégorique même s’il y a effectivement un tas d’éléments concrets qui tendent à prouver que cet acte pouvait être délibéré. Aux lecteurs d’être juges de ce qu’ils liront.

 

Avec ce livre, espérez-vous replacer Michel Croz sur le devant de la scène montagnarde ?

En septembre prochain, on célébrera le centenaire de la disparition d’Edward Whymper (le 16 septembre 1911). J’espère qu’au cours de cette commémoration, on honorera également la mémoire de Michel Croz. Ce qui me «choque» ou me surprend quand on rentre dans le cimetière de Chamonix, c’est que l’on aperçoit tout de suite la tombe de Whymper, mais il n’y a pas la moindre trace de Michel Croz. Ce serait beau de les «réunir».  Il n’y a aucune raison particulière à ce que la dépouille de Croz reste à Zermatt. Il faudrait qu’il revienne «chez lui». Ce serait le sortir d’un grand oubli historique. Car ce garçon, s’il était resté en vie plus longtemps et au vu de toutes les premières gigantesques qu’il a réalisées, aurait sans doute été un des grands héros de l’alpinisme. Voilà pourquoi j’ai voulu, à travers cet ouvrage, rendre hommage à ce personnage droit et talentueux. 

 

* La Cordée royale - Edouard Whymper et Michel Croz, «le prince des guides», de Marcel Pérès, éditions Guérin, 15 €

 

 

 

Guide et ami de Whymper

Une belle cordée de la fin du xixe siècle. Une passion partagée de la montagne. Une fin tragique avec la première du Cervin, première «affaire» de l’histoire de l’alpinisme. L’audace d’un jeune Anglais et la force d’un guide de la vallée de Chamonix, alliés pour partir à la conquête des sommets... Voilà la «cordée royale», Edward Whymper et Michel Croz, encordés pour accomplir de nombreuses premières dans les Alpes ! Mais la «dernière première» de Michel Croz se profile dans l’ombre du Cervin... Le 14 juillet 1865, le guide mène au sommet Whymper et cinq autres alpinistes. Entraîné par l’un d’eux, il disparaît dans l’abîme, avec trois Britanniques. «L’affaire» met en émoi toute l’Angleterre, jusqu’à la Reine Victoria ! Tandis que «l’Alpe homicide» est fustigée dans la presse unanime, le guide suisse Taugwalder, soupçonné d’avoir coupé la corde pour éviter la chute mortelle, est mis en accusation. L’ascension du Cervin devient la première «affaire judiciaire» de l’histoire de l’alpinisme. Whymper rentrera en Angleterre, bien amer : «Sans Croz, je n’aurais jamais fait l’ascension du Cervin», reconnaît le jeune homme, qui a perdu à la fois son guide et son ami.

 
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