Megève à la carte
(Re)-découvrez le village d’autrefois, au fil des pages d’un magnifique ouvrage.
«Plus qu’un livre, un recueil de souvenirs», insistent les éditions du Signe, qui ont eu la (très) bonne idée de publier ce Megève d’autrefois, raconté par les cartes postales de la fabuleuse collection d’Alain Kadisch. Autant d’images insolites que Johana Trossat a joliment mises en mots. De la belle ouvrage qui fleure bon l’album photos familial et vous emmène à la (re-)découverte du village d’antan, avec ses prés infinis, ses impressionnantes hauteurs de neige, ses chevaux et ses multiples maisons d’enfants. Une balade dans le temps et dans l’espace, qui atteste de la transfiguration des lieux sans pour autant verser dans une nostalgie revendicatrice, comme le souligne l’auteur, journaliste installée depuis une vingtaine d’années en terre mégevanne.
Comment avez-vous «rencontré» cet ouvrage ?
L’automne dernier, j’ai été contactée pour reprendre au vol ce projet chapeauté par les éditions du Signe, basées à Strasbourg. En tant que Mégevanne de cœur et d’adoption depuis plus de vingt ans, j’ai immédiatement été séduite. Au départ je devais «seulement» écrire les légendes. Mais je trouvais cette mission extrêmement restrictive. J’ai donc émis un tas de suggestions pour enrichir le propos, en plongeant dans mes archives personnelles, desquelles j’ai ressorti des interviews d’Henry Jacques Le Même, Emile Allais ou encore, la nounou d’Edmond de Rothschild. Je me suis aussi entourée de sachants et de gens du territoire, comme Yvonne Tops Socquet ou Edouard Apertet. Nous nous sommes appliqués à nous «souvenir» au mieux. Le ton est léger, avec beaucoup d’honnêteté intellectuelle. J’ai essayé de poser un regard curieux mais aussi empreint d’affection sur le village.
... village dont vous êtes tombée «en amour», tout comme Alain Kadisch, dont l’impressionnante collection de cartes postales sert de ciment à ce livre.
Initialement, le nom d’Alain Kadisch me «parlait». Car, Kaddish en hébreu, c’est la prière des morts. Et dans ma famille, tout le monde a disparu. Donc, le Kaddish, on l’a assez pratiqué... Mais au-delà de cet aspect personnel, j’aime ce personnage, décédé en 2009. Je l’avais croisé à plusieurs reprises, mais jamais interviewé. Alain Kadisch a «embrassé» Megève dès son plus jeune âge. Il était pupille de guerre. Il venait toujours en vacances au centre CCAS, une maison d’enfants. Il s’est pris d’affection pour ce village. Il a notamment été accueilli par la famille A.Allard. Chaque fois qu’il en avait la possibilité, il venait ici. Et aujourd’hui, grâce à cet ouvrage, grâce à l’exposition, c’est comme si on le (re-)découvrait. Lors des séances de signature du livre, beaucoup de gens m’en ont reparlé, comme cette commerçante de la galerie du Mont-Blanc. Elle m’a dit : «Je me souviens de ce monsieur à la petite moustache. Je ne savais même pas qu’il était mort.» Alain Kadisch avait choisi Megève. C’était sa vie, sa passion.
Une passion dévorante qui permet, aujourd’hui, d’appréhender d’autres facettes du village.
Moi-même en travaillant sur ce bouquin, j’ai découvert un Megève que je ne connaissais pas. J’ai notamment été impressionnée par le côté visionnaire des gens au début du xxe siècle. Ils avaient tellement d’idées pour alimenter la dynamique locale. Sans forcément beaucoup de moyens mais avec un sens inouï de la fête. Il faut aussi se rappeler qu’autrefois, un bon hiver c’était un hiver... sans neige. Ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Ce qui est également frappant c’est l’évolution architecturale du village. On passe assez rapidement d’une architecture vernaculaire très ambiance rurale à une vie extrêmement touristique. Même s’il ne faut pas pour autant oublier que les premiers visiteurs étrangers à Megève étaient les touristes de la foi, en pèlerinage. Ils sont plus de 6 000 à être venus pour le Calvaire. Et cela, bien avant le ski.
On connaît aussi le Megève des chevaux, moins celui des rennes...
Pourtant des rennes, il y en a bien eu ici. Ce n’est pas un leurre, comme en témoigne d’ailleurs la rue du Clos des Rennes. Ils sont effectivement venus au village. Quant aux chevaux, ils font vraiment partie de l’identité du village et cela, depuis des décennies, comme on peut le voir sur de très nombreuses cartes, avec le travail rural, les traîneaux, le marché aux chevaux, etc. Ici, les calèches ce n’est pas que de la déco !
Vous déclarez ne pas avoir voulu rédiger un ouvrage empreint de nostalgie. Pourquoi ?
Parce que, très souvent, la nostalgie est synonyme de tristesse. Et puis, je n’ai pas non plus la prétention d’avoir écrit un livre d’histoire. Cet ouvrage donne des informations sur des choses que l’on voit ou que l’on ne voit plus aujourd’hui. J’avais aussi envie que les enfants s’y intéressent. Nous n’avons pas toujours eu ce confort, cette facilité d’accès à la montagne. Lorsque Le Même a construit le chalet de la baronne Noémie, tous les matériaux ont été acheminés à dos d’homme et en charrette jusqu’au Mont d’Arbois. C’était ahurissant. En parcourant toutes ces cartes postales, j’ai ainsi découvert que Megève était le premier village du secteur à avoir eu l’électricité. Au fil des pages, les lecteurs voyagent vraiment dans le temps et dans l’espace, dans un environnement où se superposent des images, des massifs...
Obtenir les autorisations pour publier toutes ces cartes d’autrefois n’a-t-il pas été trop compliqué ?
Ce fut un travail de tous les instants. Tous les ayants droit ont été contactés par la maison d’édition afin d’obtenir l’autorisation de publier chaque carte. Cette collection Kadisch m’a sincèrement touchée. J’éprouve une grande admiration pour ce bonhomme qui a passé sa vie à collectionner ces petits bouts d’histoire de Megève avant de léguer le tout à la commune. Et en dépit des petites imperfections que peut présenter cet ouvrage, je peux vous dire qu’il a été écrit avec mon cœur. Et je pense que de nombreuses personnes ont d’ailleurs été touchées. En tout cas, c’était pour moi un honneur de le faire. Je l’ai appréhendé comme un véritable devoir de mémoire.
Le fabuleux legs d’Alain Kadisch
Longuement, patiemment, passionnément, Alain Kadisch – Mégevan de cœur et d’adoption depuis son plus jeune âge – a collectionné une foultitude de supports en tous genres sur lesquels figuraient le nom ou la marque Megève. Megève, petit village de montagne duquel il s’est amouraché lorsque enfant, il y est venu pour la première fois en villégiature. Une idylle qui s’est prolongée jusqu’à sa disparition, en 2009.
Durant toutes ces années, il n’a cessé de chercher, chiner des milliers de cartes postales (la plus ancienne datant de 1874), affiches et autres objets en tous genres à la gloire de la belle montagnarde. Un trésor qu’il a, dans ses dernières volontés, souhaité léguer à la ville de Megève. Respectant son souhait, son frère Pierre a donc transmis aux instances locales cette fabuleuse collection ; laquelle a généré une exposition – visible jusqu’au mois de mai au musée de Megève – mais également ce magnifique ouvrage, publié par les éditions du Signe. Une œuvre à l’iconographie racée et au concept original (avec ses cartes détachables). Assurément un bel objet, qui se doit de figurer dans les bibliothèques de tous les inconditionnels de la station chic et authentique.
Megève d’autrefois racontée par les cartes postales, éditions du Signe, 35 € (20 cartes détachables incluses)
Le choix de Johana
Si la collection Kadisch est riche de milliers de cartes, l’ouvrage rédigé par Johana Trossat n’en met que quelques dizaines en exergue. Et parmi tous ces clichés, l’auteur avoue un faible pour les vues suivantes :
P. 2 «Voir de telles hauteurs de neige est toujours impressionnant, surtout quand on sait que 2011 est l’année la plus chaude que nous ayons jamais connue...»
P. 8 La place du village initiale. «A l’époque, la route nationale la traversait encore. C’est frappant de voir que l’église est toujours là – en dépit de la Révolution – tout comme la tour médiévale, toujours en indivision avec la mairie de Demi-Quartier.»
P. 41 La patinoire. «Autrefois, la surface de glace naturelle était gigantesque. Elle est beaucoup plus réduite aujourd’hui et recouvre le parking souterrain. En analysant les immeubles environnants, on peut constater que le vocabulaire de façade a été complètement changé.»
P. 54 Des gens à ski sur un toit. «Je trouve cette scène marrante. J’aime également beaucoup celle où l’on peut lire ce panneau “si vous tombez, dégagez la piste”. Yvonne Tops Socquet m’a dit qu’elle s’était vendue à des milliers d’exemplaires.»
P. 109 Le Sporting-club. «C’est aujourd’hui La Résidence, au pied de la benne, à Rochebrune. C’était un lieu incroyable, avant-gardiste. Il y avait des courts de tennis, des matches de water-polo. Beaucoup de gens d’Afrique du Nord fréquentaient ce Sporting-club. A l’époque, la clientèle venait pour quinze jours, un mois, deux mois. Après la guerre d’Algérie, les bâtiments sont tombés en désuétude.»
P. 114-115 Les Fauvettes. «C’est une des nombreuses maisons d’enfants que la station a comptées. Malheureusement, la plupart ont fermé et ont été transformées en résidences ou en hôtels. Si vous ne reconnaissez pas les lieux, c’est en face de la station Total, sur la Nationale.»