Haute-Savoie - N°85 - Février/Mars 2009

La Convention alpine, pour quoi faire ?

Signé en 1991 par les 8 Etats alpins, l’accord est-il une jolie coquille vide ou un droit nouveau pour la montagne ?

 

A l’heure où le développement durable se mange à toutes les sauces, la Convention alpine est-elle la énième pierre d’un haut mur de bonnes intentions pour la préservation des Alpes ou, au contraire, donne-t-elle aux huit Etats signataires de l’accord* une véritable feuille de route assortie de mesures contraignantes ? La réponse n’est pas tranchée. Si dans certains pays, comme l’Autriche, la CA a une réalité palpable, en France, la situation est tout autre. D’où la mission des ONG, à l’instar de la CIPRA (Commission internationale pour la protection des Alpes), dont la délégation française s’efforce, année mb85-6.jpgaprès année, d’être l’aiguillon, le «diffuseur» premier de cette Convention auprès des instances dirigeantes mais aussi du grand public. «Une mission ambitieuse», a souligné le président de CIPRA France, Patrick Le Vaguerèse (photo ci-contre), lors d’un important colloque organisé à Autrans, dans le cadre du 25e Festival international du film de montagne. Nous l’y avons rencontré.

 

Rappelez-nous les fondements et le rôle de la CIPRA.

La «Commission internationale pour la protection des Alpes» [NDLR : le R initial était là pour "Régions Alpines", et l’acronyme est resté] a été créée en 1952. De géniaux prédécesseurs ont souhaité que le massif alpin soit exemplaire en matière de protection de l’environnement. Mais le trépied «environnement, économie et social» s’est très vite imposé à leur réflexion. La CIPRA est en fait une «association d’associations». En France, nous avons parmi nos adhérents la Fédération française des clubs alpins et de montagne, la Fédération française de la montagne et de l’escalade, les Parcs nationaux alpins (Mercantour, Ecrins, Vanoise...), le WWF, la FRAPNA ou encore, Mountain Wilderness. Ils comptent tous sur nous pour être un aiguillon dans la défense du massif alpin, à travers la diffusion de la Convention alpine.

Pourtant, pour beaucoup de monde, cette Convention reste une «nébuleuse».

Vous avez raison. Malheureusement. Cela dit, la situation n’est pas pareille dans tout l’arc alpin. L’Autriche, par exemple, a complètement introduit la Convention alpine dans son droit national. C’est inscrit noir sur blanc. Là-bas, les gens savent donc très bien de quoi on parle. Contrairement à ce qui se passe chez nous. Depuis trois ou quatre ans, le milieu semble toutefois plus réceptif. Aujourd’hui, nous sommes écoutés quand nous allons voir un ministre, que ce soit Nelly Olin ou Nathalie Kosciusko-Morizet, qui nous ont reçus. Nous nous démenons pour que la convention soit davantage connue et reconnue. Ce que nous permet notamment le réseau «Alliance dans les Alpes», dont la CIPRA est l’animatrice.

mb85-7a.jpgParlez-nous de ce réseau.

Il a été fondé il y a onze ans. Une trentaine de communes y adhèrent en France – plus de 300 en Autriche... – mais des discussions sont en cours avec de nouveaux membres. Notre but n’est pas d’en recruter des centaines mais bien d’avoir dans cette alliance des adhérents qui ont un projet concret, s’inscrivant dans la Convention alpine. L’objectif principal est d’échanger les idées, les concepts, au niveau national et international. Il ne s’agit pas de peindre en vert le panneau d’entrée des communes, ce qui nous intéresse, c’est le progrès. Nous avons ainsi emmené des élus français en Autriche, dans le Vorarlberg, pour voir des constructions passives. Avoir des idées, c’est bien, mais il faut qu’elles soient soutenues par des maires, des députés, des sénateurs. En France, la personne phare du réseau est Joël Giraud, le député-maire de L’Argentière-la-Bessée.

Quelles communes haut-savoyardes ont rejoint cette «alliance» ?

Il y a notamment Annecy, Cruseilles, Les Gets. Nous sommes aussi en discussion avec Sixt-Fer-à-Cheval, Vallorcine, Sallanches... Nous avons pour tâche de marier certains contraires, de rapprocher des points de vue. De convaincre. Ce qui n’est pas toujours évident. Certains politiques nous considèrent parfois comme des donneurs de leçons. Ce que nous ne sommes pas.

La Convention alpine fait-elle peur aux élus et aux décideurs ?

Prenez, par exemple, la thématique des transports. Il y a beaucoup de lobbies et même des personnes, à titre individuel, qui n’apprécient pas que l’on ait des projets autres que le tout routier. La crise devrait être l’occasion de repenser toutes ces choses. Or, c’est le contraire. Comme le démontre le recul systématique de toutes les options prises au Grenelle, il y a une réticence, une résistance aux changements autres que celui de la «peinture verte». On nous parle de la nécessaire extension des stations de ski. Mais au profit de qui ? Quand on réalise la liaison La Plagne-Les Arcs, il n’y a pas vraiment de justification économique pour les populations locales, qui ne trouvent plus rien pour se loger. La Convention alpine prône le maintien de l’activité économique sur place mais sans pour autant transformer les lieux en «réserves d’Indiens». Les projets ne doivent pas être uniquement motivés par des questions de «fric». J’insiste bien sur ce mot !

Parlant de l’industrie du ski, quels rapports entretenez-vous avec des structures comme le SNTF (Syndicat national des téléphériques de France) ?

Il y a quelques années, c’était la guerre ouverte. Aujourd’hui, nous prenons part à certaines discussions. Le SNTF s’est ouvert et est conscient qu’il y a des problèmes. Les solutions mises en place ne nous plaisent pas toujours mais nous essayons de nous parler. Ski France et le SNTF sont venus nous chercher pour participer à l’élaboration de différentes chartes. Nous n’hésitons pas à mettre beaucoup de poil à gratter dans le débat. Car, quand il s’agit de remettre en cause certaines habitudes bien ancrées, cela coince forcément...

Comment les instances de la Convention alpine appréhendent-elles le dossier «Mont-Blanc» ?

Le Mont-Blanc reste une épine dans notre pied. Que ce massif, toit de l’Europe, symbole, ne soit pas protégé, c’est une aberration. Quand nous discutons avec nos collègues internationaux, ils sont persuadés qu’il existe déjà un parc national. Pour eux c’est inimaginable qu’il en soit autrement. Quand on voit que la simple inscription au patrimoine de l’UNESCO pose des problèmes car il y a quelques «contraintes»... De toute façon, nous ne pouvons pas le faire contre l’avis des élus.

mb85-7b.jpgComment entrevoyez-vous l’avenir de la Convention alpine ?

Elle reste ce cadre sur lequel peuvent s’appuyer les élus. Nous la considérons plus comme un moyen que comme une loi. Un maire, un député, un conseiller général peut s’y référer pour valider certaines actions et se dire qu’il n’est pas seul à entreprendre ce type de démarche. Parfois c’est effectivement un peu décourageant car c’est un milieu très diplomatique. Mais j’ai l’impression que la Convention reste un outil vivant.

Et vous, CIPRA, quelles seront vos prochaines actions concrètes ?

Nous avons notamment mené une étude sur l’héliski à travers le monde. Nous allons la faire éditer et organiser un séminaire sur la pratique à travers les Alpes. Par le biais de la Convention alpine, nous parviendrons peut-être un jour à faire une pression politique, diplomatique sur le Val d’Aoste. Même si cela semble difficile car le territoire valdotain a une très grande autonomie. Nous avons également sous-traité deux études internationales, l’une sur le tourisme durable et l’autre sur le transport, avec un catalogue de bonnes pratiques. Il devrait être publié courant mars.

 

Pour suivre tous les travaux de la CIPRA : www.cipra.org

 

* Les Alpes en chiffres

8 Etats (Allemagne, Autriche, France, Italie, Liechtenstein, Monaco, Slovénie, Suisse)

5 954 communes

190 568 km2

13 000 espèces végétales

30 000 espèces animales

13,9 millions d’habitants


La Convention alpine : repères

 

Accord international (convention cadre) signé en 1991 par les 8 Etats alpins.

Présidence tournante tous les 2 ans.

Secrétariat permanent à Innsbruck.

La convention comporte un catalogue international de mesures en faveur du développement durable des Alpes.

Neuf protocoles – avec certaines dispositions contraignantes – ont été signés : agriculture de montagne, aménagement du territoire et développement durable, forêt de montagne, énergie, protection de la nature et entretien des paysages, protection des sols, tourisme, transport, règlement des différends.

Site internet : www.alpconv.org

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