Portraits - N°106 - Août/Septembre 2012

Karine Meerpoel - 5 500 lieues sur la Terre

 

L’ incroyable voyage de Karine Meerpoel. La cyclo au long cours a parcouru plus de 22 000 kilomètres pour rallier Pékin aux Houches.

22 000 km en 22 mois. Seule au guidon de «Drokpa» («nomade» en tibétain), son fidèle vélo. Voilà le fabuleux périple que s’est offert Karine Meerpoel (39 ans), houcharde d’adoption, qui a le nomadisme chevillé au corps et à l’âme, depuis qu’elle est haute comme trois pommes. Depuis que ses parents, eux-mêmes grands voyageurs, lui ont offert une mappemonde, sur laquelle, gamine, elle a projeté toutes ses envies de rencontres et de découvertes. Des envies auxquelles elle a pu donner corps au gré de nombreuses pérégrinations dans des contrées lointaines. Mais, la trentaine révolue, la blonde Karine a voulu prolonger le plaisir et s’offrir LE voyage dont elle avait toujours rêvé, une escapade de près de deux ans, pour rallier Pékin à son camp de base des Houches. Une aventure extraordinaire, dont elle nous narre toute la richesse. 

 

Quelle a été votre feuille de route ?

De mon point de départ, Beijing (Pékin), je n’ai pas suivi une trajectoire très directe car je voulais passer par Singapour. Donc, il y a eu la Chine pendant trois mois, puis l’Asie du Sud-Est, le Népal, l’Inde. J’aurais aimé retourner au Pakistan, que j’adore, mais je n’ai pas obtenu mon visa. J’ai donc dû reprendre un vol pour la Chine et aller en direction de l’Asie centrale. J’ai traversé la Caspienne en ferry et suis arrivée en Azerbaïdjan, avec poursuite dans les pays du Caucase. Je voulais ensuite remonter par les Balkans mais comme pendant six mois, j’ai été confrontée à des températures polaires, j’en avais ras-le-bol du froid. Donc, sur la frontière albanaise, j’ai rejoint par bateau le talon de la botte italienne, que j’ai remontée jusqu’en Suisse. L’ultime étape s’effectuant par Martigny et le col des Montets.

Le tout en 22 mois, du 30 juin 2010 au 14 avril 2012.

Cela fait un peu plus de 22 000 km. Rallier Pékin aux Houches à vélo doit pouvoir se faire en six mois, si vous pédalez tout le temps. Mais ce n’est pas mon approche.  Moi, j’aime prendre mon temps. C’est ma  façon de voyager – et cela fait vingt ans que ça dure. Donc, quand un endroit me plaisait, j’y restais un peu. Mais en revanche quand je me déplaçais, en général j’avalais plus de 100 km par jour alors que la moyenne des autres cyclos est, elle, d’environ 60 km quotidiens.

Parlez nous de «Drokpa», votre fidèle compagnon...

C’est mon oncle, lui-même féru de voyage et de vélo, qui me l’a fabriqué. La mécanique est la plus simple possible, afin de pouvoir facilement réparer en cas de problème. C’est un cadre de VTT très basique, sans suspension et en acier. Donc, forcément, il est lourd : 17 kg à vide auxquels il convient d’ajouter entre 22 et 25 kg de bagages, en fonction des régions traversées. J’ai l’habitude de ce type de chargement et la conduite ne me posait aucun problème. En revanche, quand je vidais le vélo pour aller visiter, là j’avais du mal à pédaler, car le guidon était beaucoup plus mobile.

Vous n’avez pas pris trop de gamelles ?

Si. J’ai rapporté quelques belles cicatrices à la suite de grosses chutes dues à la glace vive sur les routes, notamment en Ouzbékistan, en Azerbaïdjan et en Grèce. En Inde, un camion m’a également poussée et j’ai perdu pas mal de sang. Mais hormis ces quelques couacs, je n’ai jamais été malade. D’ailleurs je n’ai pas maigri. Pendant deux ans j’ai traversé des pays où l’on mange super bien comme l’Inde, la Malaisie, le Népal, la Thaïlande. Et puis d’autres où j’ai eu faim. Donc, cela a fait le yo-yo et à l’arrivée, je n’ai pas perdu de kilos. J’ai même pris des cuisses et des mollets. La dernière partie du voyage a, en revanche, été éprouvante côté météo avec beaucoup de pluie et de la neige. J’ai eu assez froid.

Qu’aviez-vous emporté avec vous ?

Une tente, un matelas, un duvet, un réchaud, une pharmacie, des vêtements d’été, d’hiver, des livres, des cartes, etc. J’avais aussi un appareil photo. Je transférais tout sur des cartes mémoires que je faisais rapatrier par des voyageurs français en lesquels j’avais confiance ou par des amis, qui sont venus me retrouver sur certaines portions. Ces photos alimentaient le site Internet du voyage (www.sellequivoyage.fr) que ma meilleure amie Alice a fait vivre pendant ces deux années. C’était un énorme boulot. J’envoyais les textes à maman, qui les corrigeait – accents et ponctuation oblige – avant de les renvoyer à Alice.

Vous n’aviez pris ni téléphone, ni ordinateur portable. Pourquoi ?

Par choix. Déjà en France, je n’ai eu mon premier portable qu’à 37 ans, quelques mois avant de partir en voyage. Je savais aussi qu’à certains passages de frontière, plus un voyageur a de matériel électronique et de communication, plus cela se complique. Cela dit, j’ai pu appeler mes proches régulièrement, depuis des cybercafés ou des centraux téléphoniques. Au Viêtnam par exemple, dans n’importe quel petit village, il est possible de passer des appels internationaux. Ce qui n’est pas nécessairement le cas plus près de chez nous, car tout le monde a un portable ou Internet à la maison. Sur certaines portions du périple, j’ai quand même gardé un téléphone. Je l’avais promis à maman. Elle voulait que je la rassure chaque jour par un message, un texto. Car, au cours d’un voyage, une de mes amies, qui était seule, a été violée. Je ne pense pas que ce soit lié plus à un pays qu’à un autre. C’est très souvent le fait de mauvaises rencontres, au mauvais endroit, au mauvais moment. 

Pourtant, pour une femme, partir seule sur son vélo n’est pas anodin

Effectivement. En tant que femme, vous ne pouvez pas mettre votre tente n’importe où. Moi j’essaie d’ailleurs de dormir un maximum chez les gens, dans des guest-houses, en versant une contribution. Mais pour ce projet, je voulais vraiment partir seule. Quand vous êtes seule, vous êtes beaucoup plus curieuse, vous communiquez beaucoup plus avec les locaux. Dès que vous êtes plusieurs, vous faites moins d’efforts pour apprendre le vocabulaire, la culture. Moi, je me débrouille en anglais, un peu en russe. Dans chaque pays, j’essaie d’apprendre le minimum de mots courants. Je n’aurais pas aimé avoir quelqu’un avec moi sur tout le périple. Mais j’avais cependant dit à tous mes proches et amis qu’ils étaient les bienvenus pour partager un bout de route à mes côtés.

Ont-ils été nombreux à vous rejoindre ?

Maman est venue trois fois : au Viêtnam, en Malaisie, à Istanbul. Une de mes meilleures amies m’a retrouvée en Thaïlande pour le premier Noël et deux couples ont pédalé avec moi au Tadjikistan et en Inde. C’était très fort de partager ces moments avec eux. En revanche, quand maman rentrait en France, c’était très dur. Elle pleurait beaucoup car elle ne savait jamais quand nous allions nous revoir. Il faut quand même préciser que si vous partez seule sur ce genre de voyage, vous rencontrez forcément d’autres cyclos en cours de route. J’ai même fait la connaissance d’un voyageur à pied, qui s’est acheté un vélo dans le Yunnan. Il m’a accompagnée quasiment jusqu’au Viêtnam.  Puis il m’a retrouvée pour la  Ho Chi Minh Road, sur la frontière du Laos et du Cambodge.

Ce grand voyage avait-il une finalité particulière, un objectif personnel ou professionnel ?

Non. Comme sur tous mes autres périples, l’ambition première était de découvrir, de rencontrer le plus de gens possible. Je n’utilise jamais le mot vacances ou parenthèse. C’est juste ma vie, mon chemin de vie qui continue sous d’autres horizons, avec un autre cadre, sans appartement, sans travail. Quand tu pars plus de quatre mois, cela va au-delà des vacances. C’est du voyage. Et je le dis sans prétention aucune. Mais il y a une dimension différente. Ce n’est pas donné à tout le monde, surtout quand il y a des contraintes de boulot, de famille, de logement. Mais c’est un choix. Moi, à bientôt 40 ans, j’ai une vie de patachon, aucun patrimoine.

Comment expliquez-vous cette envie perpétuelle d’aller voir ailleurs ?

Mes parents nous ont toujours fait voyager, mon frère et moi. Et surtout, ils nous ont appris très tôt à ne pas avoir peur des autres, de l’autre. Au contraire. Dans notre famille, les étrangers ont toujours été ceux vers lesquels il fallait aller. Pour se frotter à leur culture, les comprendre. Cette transmission m’a – en plus du goût de l’histoire [NDLR : qu’elle a étudiée en faculté] – rendue curieuse de ce qui se passait à l’autre bout de la terre. Petite, j’ai reçu une mappemonde en cadeau et je me souviens que je faisais des blocages sur des noms. Je découvrais le Kamchatka et ça me faisait rêver. Cette mappemonde, je ne l’ai plus, mais on m’en a offert une autre, en plastique, gonflable. Je l’ai emmenée avec moi et chaque soir, je la gonflais devant les familles, pour montrer d’où je venais. Puis, quand maman m’a retrouvée en  Malaisie, elle m’a apporté une carte. C’était plus facile de la déplier que de gonfler la mappemonde tous les soirs. Voyager, c’est ce que j’ai toujours voulu. Je n’ai pas de crédit, pas de bagages. J’ai toujours fait en sorte de n’avoir que quelques petites choses facilement transportables, rangeables dans des cartons. En gros, si j’avais les sous, je pourrais repartir demain.

On vous sent très émue lorsque vous prononcez ces mots

Le retour, c’est toujours la partie la plus douloureuse. C’est super dur d’accepter qu’un voyage se termine. Car ce sont deux années d’une extrême liberté et d’une vie que j’aime depuis longtemps. Voilà plus de vingt ans que je voyage. Si j’avais dû me stabiliser avec une famille, une maison, cela se serait produit. Moi j’ai rapidement fait le choix d’être nomade et de bouger. C’est ce qui me plaît, me fait vibrer, m’intéresse. Donc quand tout s’arrête d’un coup, après quasiment deux ans de nomadisme, c’est vraiment difficile d’accepter de ne plus être tous les jours sur mon vélo, de remplir les sacoches, de changer d’endroit. Mentalement, c’est très violent. Tous les autres grands voyageurs sont confrontés à la même difficulté. Car il y a un retour à la réalité, aux normes et aux codes occidentaux qui n’est pas évident.

Avez-vous déjà planché sur votre prochaine escapade ?

J’y pense. J’aimerais partir d’Alaska pour aller jusqu’à Ushuaïa, donc faire toute la traversée des Amériques. Hormis le Nicaragua et le Costa Rica, je ne connais pas du tout ce continent. Une chose est certaine, ce sera à vélo. Maintenant que j’y ai goûté... Mais tout cela, ce ne sera pas avant un an et demi, deux ans. Maintenant, il faut que je m’attelle sérieusement au montage d’un nouveau diaporama et que je mette à nouveau mes amis à contribution, Nicolas, Alice. Le but c’est de continuer à faire vivre cette belle aventure. Beaucoup de gens m’ont suivie à travers le site Internet, qui était référencé sur le Lonely Planet. C’était très sympa. Mais j’ai envie de laisser une trace et de partager avec d’autres ce périple Pékin - Les Houches. Je tiens vraiment à ce que le voyage porte ce nom. Car Les Houches, c’est mon village. J’y ai mes amis. Il y a des gens formidables ici, une  ambiance, des ballets de tracteurs qui font les foins, etc.  Ce n’est pas pareil dans toute la vallée et c’est pour ça que je m’y sens bien.

 

Commentaires des internautes
Un parmi beaucoup d\'autres... - le 07/06/2013 à 00:01
Karine...
Beijing - Les Houches....
Tu es for-mi-dable ! beaucoup d'émotions, de découvertes à te suivre sur ce périple...
Merci à...
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